Dumas par Nadar en 1855 |
À
propos du Salon de 1861, dans La Gazette des Beaux-Arts (1861, tome 11, p. 152) :
« À quel travail d’interprétation peut se livrer M. Blaise Desgoffe en
présence d’un objet en jaspe, en sardoine ou en agate ? A-t-il en lui-même
une idée, un type de beauté qui lui permette d’ajouter à la représentation de
l’objet une valeur subjective ? Son seul but sera de reproduire par une
imitation exacte la forme et le ton de choses inanimées que l’œil suffit à
comprendre ; son mérite, d’employer à ce travail de patience, dans une
mesure judicieuse, les ressources de la langue de l’art, un dessin correct, une
couleur juste. Tout au plus l’arrangement des divers objets permet-il à son
goût personnel d’intervenir au même titre que le goût de la femme dans
l’assortiment des diverses pièces de sa toilette. Si, en un genre aussi
étroitement limité, M. Blaise Desgoffe produit des chefs-d’œuvre, c’est qu’il
porte au plus haut degré le déploiement de ces qualités secondaires, le goût,
la correction, la justesse, la patience, l’imitation, et qu’il les soutient par
une exécution constamment ferme et pure. C’est aussi ce qui permet d’appliquer
à des tableaux tels que l’Aiguière ou la Coupe le mot de chefs-d’œuvre, dont il faut être si ménager
quand il s’agit de véritables œuvres d’art. »
À
propos du Salon de 1863, dans Les Salons de W. Bürger, 1861-1868 (Renouard éditeur), pp. 409 et
suivantes : « Chez M. Blaise Desgoffe, élève de M. Flandrin, et sans
doute frère [sic]
de M. Alexandre Desgoffe le paysagiste, toute impression humaine
disparaît ; les objets ne sont pas peints tels que chacun les voit selon
son tempérament, mais tels qu’ils sont en réalité, abstraction faite de
l’esprit humain et de l’œil humain, ce qui semblerait impossible. Je ne sais
comment expliquer ce résultat merveilleux. Est-ce œuvre d’art ? Ma foi,
non. Dans l’art, il y a toujours quelque chose de l’homme, ne fût-ce que sa
manière de voir matériellement les objets, laquelle est différente chez tous
les individus, et infiniment variée. Est-ce un travail industriel ? Un
mouleur met du plâtre sur une statue de marbre, maçonne son moule, le laisse sécher,
puis l’ouvre et en retire le fac-similé de la statue. Un photographe met dans
sa chambre noire une plaque préparée et retire l’image qui s’est imprimée sur
le verre. Qu’est-ce que cela ? Il semble que les résultats de M. Desgoffe
soient obtenus par quelque action physique où lui-même ne soit qu’un agent
inerte, un intermédiaire mécanique ; qu’il prenne du bout de sa brosse
l’objet réel et qu’il le pose là sur sa toile, sans y avoir rien fait que de le
transposer. Donc, il a transposé, sur deux tableaux, des objets tirés des
collections du Louvre : sur un des tableaux, un vase de cristal de roche,
du xviᵉ siècle, une
escarcelle de Henri II, des émaux de Limoges ; sur l’autre tableau, un Buste
en ivoire du xviᵉ siècle, une agate onyx,
des bijoux et un pan d’étoffe de soie. Les conservateurs du musée feront bien
de voir si ces objets sont toujours dans leurs armoires du Louvre, car les
voici au Salon. Jamais la peinture n’a rien produit d’aussi réel, jamais dans
aucune école et dans aucun genre, même les raisins du peintre grec, qui
trompèrent les oiseaux, mais qui sans doute ne faisaient point illusion aux
hommes. Le tableau du vase de cristal est assez grand ; le tableau du Buste
en ivoire est
plus petit, et encore plus prodigieux que l’autre ; il appartient à M.
Boittelle. M. de Morny a aussi des peintures de M. Desgoffe, dont les œuvres ne
peuvent manquer d’être très recherchées. »
À propos du Salon de 1864, dans L’Art et les artistes
modernes en France et en Angleterre, par Ernest Chesneau, Didier et Cie Éd., pp. 264 et suiv. : « S’il
est vrai, comme le disait récemment M. le surintendant des Beaux-Arts, que
l’important en peinture “c’est que dans toutes les directions parcourues le
talent soit à la hauteur de la tentative”, on peut affirmer que les ouvrages de
M. Desgoffe sont des chefs-d’œuvre et le mot ici n’a rien d’excessif. Il est
nécessaire toutefois de faire remarquer qu’il est plus facile pour l’artiste de
réaliser pleinement l’objet de son effort, lorsque cet effort s’applique à des
phénomènes absolument immobiles, invariables de leur nature, comme des ivoires,
des émaux, des cristaux ou des tentures. Mais la relativité du but étant
marquée, il ne faut pas craindre de dire que M. Desgoffe est le seul artiste au
Salon qui ait atteint rigoureusement le but qu’il se proposait. Cela peut
prouver l’infériorité comparative du genre, mais ne prouve rien contre la
supériorité du peintre dans ce genre qu’il exploite. Si l’Antiquité nous avait
laissé un seul des chefs-d’œuvre de M. Blaise Desgoffe, on n’aurait pas assez d’exclamations
et d’admirations pour la supériorité des anciens. Les récits de Pline sur les
compositions des peintres de l’Antiquité, les épigrammes de l’anthologie
grecque sur l’illusion que causaient à ses contemporains les ouvrages de Myron
d’éleuthère, cette imitation
fidèle de la nature, acceptée sur parole et dont rien de ce qui est parvenu
jusqu’à nous ne justifie l’existence probable, ces merveilles d’illusion
peut-être apocryphes, sont chaque jour l’objet de mille louanges à l’aide
desquelles on écrase les modernes ; les tableaux de tel peintre hollandais
sont vantés au-delà de toute mesure pour la manière dont il a su rendre les
accessoires. Mais comme M. Blaise Desgoffe est français, comme il est notre
contemporain, comme il dépasse de beaucoup comme vérité d’imitation tout ce
qu’ont pu faire les Hollandais, les Flamands ou les anciens, nous trouvons de
bon goût de dédaigner ses merveilles d’exécution, ses chefs-d’œuvre, je répète
le mot que je n’ai pas écrit une seule fois dans le cours de ce compte rendu de
l’exposition de 1863. Oui, sans doute, il est plus facile de faire un
chef-d’œuvre de vérité, en copiant un ivoire, qu’en copiant un paysage ou un
être animé. Pagnest, l’auteur d’un admirable tableau du Louvre (portrait de M.
Nanteuil-Lanorville), et de La Berge, l’auteur de très beaux paysages, Pagnest
et de La Berge sont morts à la peine. M. Blaise Desgoffe est un esprit de la
même famille. Le Buste en ivoire qui appartient à l’un des amateurs les plus éclairés et
le plus sincèrement épris de notre école française, M. S. Boittelle, et le Vase
de cristal de roche du xviᵉ
siècle sont
deux perles précieuses que les musées de l’Europe se disputeront un jour. Les
tableaux de M. Desgoffe font et feront de plus en plus l’honneur des galeries
où elles figurent. La perfection absolue est chose assez rare pour qu’on ne lui
mesure pas l’éloge d’une main avare, et surtout pour qu’on n’affecte pas à son
égard des dédains inexplicables autrement que par cette singulière absence de
logique particulière à la France, le pays du monde où l’on ose le moins être
fier de ses gloires légitimes. Eh bien ! dans le cercle d’activité qu’il
embrasse, M. Desgoffe est une des gloires de l’école française contemporaine.
Le cercle est restreint, je ne me lasserai pas d’en convenir, mais l’artiste
l’a parcouru tout entier avec succès, et je ne me lasserai pas davantage de
dire qu’il est le seul qui ait réalisé la perfection. L’ambition des autres
artistes est plus haute, elle nous touche davantage, leur échec est souvent
plus glorieux que le triomphe de M. Desgoffe ; mais le triomphe n’en est
pas moins là, évident, éclatant, incontestable, reconnu de chacun au fond de sa
conscience et comme l’on n’ose pas le proclamer, on essaye de le nier. Une
dernière fois, rien n’est plus injuste. »
Gautier par Nadar en 1856 |
Article
du Grand dictionnaire universel du xixᵉ
siècle
(tome 6) de Pierre Larousse : « Desgoffe
(Blaise-Alexandre), peintre français, né à Paris, vers 1825. élève de Flandrin, il s’essaya, au
début de sa carrière, dans la grande peinture. Quelques bijoux, des vases qu’il
avait placés parmi les accessoires de ses compositions, lui firent comprendre
bien vite, par le plaisir qu’il eut à les peindre et par la façon dont il les
peignit, que là était sa véritable voie. Il se mit donc à étudier ces bijoux
merveilleux, ces coupes ravissantes, que la Renaissance nous a laissés. Les
premiers morceaux en ce genre qui mirent en relief le nom de M. Desgoffe furent
exposés en 1857. C’étaient Deux coupes d’agate orientale (xviᵉ et xviiᵉ
siècles). Tout ce que l’on peut imaginer de patience minutieuse, de prodigieuse
habileté dans l’exécution se trouvait là ; le trompe-l’œil y semblait
arrivé à sa plus haute expression de réalisme. Les reflets les plus bizarres,
les plus inattendus, que la lumière fait miroiter sur les surfaces
transparentes et polies, étaient rendus avec un respect naïf, absolu, de la
réalité. Séduite complètement par les prodiges de cette photographie
intelligente, l’admiration du public se traduisit en enthousiasme véritable.
Cependant des artistes, des critiques plus difficiles à satisfaire, cherchèrent
l’art dans cette peinture si acclamée. Bientôt les bijoux de M. Desgoffe, pour
le monde intelligent, ne furent autre chose que la plus haute expression de
l’art industriel. Dans les natures mortes des maîtres flamands, l’art véritable
se révèle par des arrangements d’un goût exquis, par les richesses d’une
magnifique palette ; les tableaux de M. Desgoffe n’ont rien de tout cela
et n’en ont pas besoin ; ils représentent des modèles de bijoux, de vases,
etc., modèles magnifiques, mais connus, puisqu’ils sont pris dans la collection
du Louvre.
» Il
ne nous reste plus qu’à citer les meilleurs morceaux de ce peintre, qui ont
paru aux divers Salons de ces dernières années : à celui de 1859, un Vase
d’agate sur piédestal d’émail (xviᵉ
siècle) ; Aiguière en sardoine onyx (xviᵉ
siècle) ; Tapis turc ; à celui de 1864, Fruits et bijoux. Ce dernier morceau est, par
exception, un vrai tableau ; il est aussi d’un style meilleur. Le
Luxembourg possède de M. Desgoffe deux toiles bien réussies à son point de vue.
Cette place, d’ailleurs, n’est pas imméritée : on est digne d’être
distingué quand on excelle dans un genre quelconque. Pour cette même raison,
nous trouvons justes les récompenses obtenues par le peintre des bijoux, qui
obtint une troisième médaille en 1861, et une deuxième en 1863. »
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